Interview : "Le projet de pêche aux Marquises n'est pas un projet de pêche industrielle"

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PAPEETE, le 26 octobre 2017 – Alors que le projet de pêche porté par Eugene Degage et Tutu Tetuanui fait débat et que des manifestations civiles sont prévues samedi matin à Tahiti et aux Marquises, Tutu Tetuanui a souhaité prendre la parole pour "calmer les esprits."



Votre projet de pêche aux Marquises fait polémique, une manifestation pacifique est prévue par la société civile samedi pour le dénoncer qu’avez-vous à dire aux manifestants ?

"Ils ont raison de se soulever et d’exprimer leur mécontentement. Seulement leur colère n’est pas toujours justifiée et beaucoup d’arguments revendiqués ne sont pas fondés.

Ce projet s’est fait dans une démarche participative. C’est la première fois qu’un projet de cette dimension est mis en place en associant tous les acteurs, c’est-à-dire la commune, la société civile (pêcheur) et le privé. C’est une première en Polynésie. Il y a trois ans, nous avons pris connaissance du PDEM mis en place par la communauté de commune des îles Marquises, il y a tout un volet qui concerne la pêche. Ce qui manquait dans ce PDEM c’était le "comment faire?". Pendant deux ans, nous avons échangé avec les élus, l’État, le Pays, la société civile, les pêcheurs… tout le monde a été concerté."

La société civile dénonce justement le fait de ne pas avoir été consulté, ni informé du projet…

"C’est faux. Ils ont été concertés par la Codim. Il y a eu beaucoup de réunions. Le problème aujourd’hui c’est qu’effectivement, des réunions se sont tenues entre les élus et la Codim et la société civile n’était pas représentée. C’est à partir de ce moment-là que les informations n’ont plus bien circulé. Quand je suis allé à Ua Pou la semaine dernière, je me suis rendu compte que les gens n’étaient pas bien informés. Il y a tout un travail à refaire. Seulement dans ces manifestations, il y a des opportunistes qui se sont engouffrés dans la brèche, ils ont des motivations politiques…"

Ce qui inquiète la population, aujourd’hui, c’est la pêche industrielle…

"Il n’y a pas de projet de pêche industrielle! Le projet de pêche aux Marquises n’est pas un projet de pêche industrielle! C’est justement pour rétablir cette vérité que je m’exprime aujourd’hui. Est-ce qu’un bonitier peut être qualifié de bateau de pêche industrielle ? Non. Est-ce que 60 thoniers de 18 et 24 mètres qui vont pêcher à la palangre peuvent être considérés comme de la pêche industrielle ? Je ne pense pas. Soixante bonitiers aux îles Marquises ça fait dix bateaux par îles. Aujourd’hui il y a plusieurs armateurs qui ont dix bonitiers, on ne les a jamais accusés de faire de la pêche industrielle. Ce sont les médias qui ont semé la peur en parlant de pêche industrielle.

Les soixante bonitiers seront confiés, après convention, à des marins pêcheurs marquisiens. Eux pratiqueront de la pêche palangrière à la main. C’est e la pêche artisanale comme tout le monde la pratique aujourd’hui en Polynésie. Ces poti ‘ā’ahi, seront plus grands que les bonitiers qui existent actuellement, ils feront 14 mètres. Ils pêcheront au-delà de cinquante nautiques des côtes et partiront dans des campagnes de maximum deux jours."

Ce sont vos objectifs de pêche et la mise en place de soixante bonitiers qui font l’opinion que qualifie votre projet de pêche industrielle.

"Nous avons prévu de mettre à l’eau 20 nouveaux poti ‘ā’ahi par an pendant trois ans. Comme je le disais avant, ils seront confiés aux pêcheurs locaux. Ces bateaux ont un objectif d’environ 100 kilos de thon par jour. Si on part sur 300 jours de travail, cela fait une estimation de 1 800 tonnes de thons par an pêchés dans les eaux marquisiennes, c’est bien loin de 6 000 tonnes annoncées par nos détracteurs. C’est loin d’être de la surpêche. Surtout quand on sait que le Pays veut passer de 6 000 tonnes péchés actuellement à 12 000 tonnes pour 2018.

Nous sommes des investisseurs 100% locaux, ça ne court pas les rues. Puis les manifestants oublient que nous allons aider à développer l’économie des Marquises. On estime a environ 240 le nombre d’emplois direct que nous créerons sans oublier qu’un emploi en mer crée deux emplois sur terre ce qui monte le chiffre de création d’emploi à environ 600."

Que comptez-vous faire avec tout ce thon ?

"Tout le thon que nous pêcherons sera exclusivement destiné à l’export en direction de la Chine et des États-Unis. Par ailleurs, nous n’excluons pas de racheter du poisson aux petits pêcheurs marquisiens."

Vous parlez de 60 bonitiers, mais les dix thoniers qui ont été baptisés la semaine dernière à quoi serviront-ils?

"Nous avons racheté ces bateaux aux enchères. Il y en a 10 de 24 mètres. Nous les avons remis en état, ils sont destinés, eux aussi, à de la pêche palangrière pour des campagnes de 20 jours maximum. Ils se déploieront sur l’ensemble de la Polynésie, pas qu’aux Marquises.

Nous avons prévu de faire construire 12 thoniers de 30 mètres qui seront destinés à la pêche dans les eaux internationales. Cela partiront pour des campagnes de trente jours, mais ça restera des palangriers, nous ne pratiquons pas la pêche à la senne. Ça n’existe pas en Polynésie et c’est très bien comme ça."

Justement, les Marquisiens ne veulent pas devenir le prochain Kiribati, pour quoi ne pas faire comme les autres, pourquoi ne pas aller pêcher dans les eaux internationales ?

"Le problème, ce n’est pas nous, ce sont nos voisins qui pêchent beaucoup plus que nous et les bateaux étrangers qui exercent une pression à la limite de notre zone économique exclusive. Il en a 2 000 et ils pillent 330 000 tonnes de thons tous les ans aux limites de nos eaux. Je ne comprends pas pourquoi 12 bateaux de 30 mètres font peur.

Le Kiribati pêche 660 mille tonnes de thon par an… nous 6 000.

Je pense que nous avons de quoi faire, c’est du pipi de chat."

Aux Marquises, il y a des nursery de thons, des espaces où la biodiversité est particulièrement fragile, qui doivent être préservés…

"Qu’on définisse les espaces protégés, nous les respecterons. Nous n’avons aucune réticence au contraire. Le rāhui a été inventé par les Polynésiens, pour préserver la biodiversité et l’environnement. Nous savons le mettre en place et le respecter nous n’avons aucune leçon à recevoir de quiconque.

La Codim voulait définir une zone de pêche, elle hésitait autour entre 20, 30 ou 40 nautiques des côtes. Avec Eugene Degage nous sommes prêts à pousser à 50 nautiques."

Comment comptez-vous financer tout cela?

"Nous avons déposé des dossiers de défiscalisation locale et métropolitaine, si nous ne les obtenons pas, ce n’est pas grave. Nous avons d’autres moyens de financement. Dans tous les cas pour l’instant nous avons lancé des appels d’offres en Asie, parce que localement personne ne peut nous les fournir dans les délais que nous souhaitons. Ils seront livrés de façon échelonnée."

Où seront basés vos 100 bateaux ?

"Dans un premier temps, ils seront basés à Tahiti en attendant d’avoir les infrastructures aux Marquises pour les accueillir. Pour l’instant, il n’y a pas de salle de mareyage, un port adapté. Chacun sait ce qu’il a à faire. Nous nous occupons des thoniers, de leur entretien, la Codim gère les infrastructures."

Que ferez-vous si vous n’arrivez pas à rallier l’opinion publique ?

"Nous suivrons l’avis de la population. Pour l’instant nous avons le soutien du Pays, de la Codim et des élus."


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